Les Contes de la GRRIF 1/3

31 décembre 2021

Les contes de la GRRIF, c’est une chronique collaborative à suivre du lundi au vendredi à 17h20 sur GRRIF. Chaque jour, on vous raconte un petit bout d’histoire créée par et avec votre cerveau tarabiscoté. C’est vous qui décidez de la direction des événements chaque jour en votant sur Instagram via notre compte @grrifradio.

Lundi : Une mystérieuse cabane

De mémoire d’homme, le coin de forêt adossé au village avait toujours abrité une vieille cahutte à l’apparence misérable. Cette cabane, si l’on pouvait encore l’appeler cabane, grinçait des dents à chaque assaut du vent. Si bien que les habitants du village prenaient les paris sur son effondrement prochain. Mais jamais, jamais, une planche de bois n’était tombée. Ce qui généra de nombreuses générations de parieurs frustrés et une légende : la cabane devait être magique.

Avec le temps, plus personne ne s’approchait du vieux logement excepté quelques enfants du village, bien décidés à montrer leur bravoure en entrant sur le territoire de la magique habitation. Les gamins exécutaient quelques rondades sur son parvis et pissaient leur nom dans la neige pour rire du danger. Puis ils s’en allaient sans demander leur reste.

Mais aujourd’hui, l’audace mena un groupe d’enfants plus loin que d’habitude. Les moufles accrochés au rebord de la fenêtre et les yeux grands ouverts par la surprise, les jeunes aventuriers virent l’ombre de quelqu’un, de quelque chose, assis sur une chaise au bord du feu, se réchauffant les pieds. L’un des enfants respira un peu trop fort ou cligna un peu trop vite des yeux, le temps se figea, l’air se glaça, et d’un coup sec, l’inconnu près du feu se retourna. C’était une casserole avec des pieds et un regard menaçant. Pas le temps de jouer la surprise pour les enfants qui se retrouvèrent en une fraction de seconde ligotés comme des petits porcinets, prêts à se faire dorer à la broche.

Mardi: La méchante casserole avec des pieds

Attachés par les pieds au plafond de la cabane, trois enfants se tortillaient comme des graines de maïs sur feu vif. L’horrible casserole avec des pieds, elle, prenait un malin plaisir à chatouiller les aisselles des enfants avec une longue plume arrachée à son paon de compagnie. Elle les torturait, elle les questionnait: « Qui sait que je suis ici ? Qui sait que j’existe ? Qui sait que je suis une casserole avec des pieds? Parlez sales mioches! » Mais rien, rien ne sortait de la bouche des enfants. Les frissons continus de la plume leur parcourant les dessous de bras les faisaient hoqueter sans leur laisser le temps de faire parvenir les questions à leurs cerveaux.

Impatiente, mécontente, la saleté de casserole avec des pieds tapa méchamment du droit. En un souffle, les trois enfants se trouvèrent dans le sous-sol de la cabane magique. Désorientés mais enfin détachés de leurs liens, les trois amis observèrent leur nouveau lieu de détention : des barreaux crasseux comme le fond d’une baignoire jamais lavée, un sol de terre et de paille, un interstice que certains auraient eu le culot d’appeler fenêtre sur une annonce immobilière et dans un coin, un tas d’habits sales… ou plutôt, un vieillard portant un tas d’habits sales qui remua sa carcasse en entendant les enfants parler.

Ce vieillard sera-t-il un allié ? Les enfants pourront-ils s’échapper ? Est-ce que le jaune est une bonne couleur pour des rideaux d’intérieur ?

Mercredi: Le vieux et sa chaise

Ramassé dans un coin de la geôle, le vieux remua en entendant les enfants. « Vous êtes venus me libérer ? Enfin ! » Leur frayeur passée, les enfants purent expliquer leur situation au vieux prisonnier. Eux aussi étaient enfermés dans cette poisseuse humidité par la méchante casserole avec des pieds et eux non plus n’avaient aucun moyen de quitter ces lieux. Les trois enfants pleuraient toutes les larmes de leurs corps dans un concerto en ré mineur presque parfait. C’était à se demander s’ils avaient déjà exercé la chose.

Le vieux stoppa ces effusions de larmes d’un claquement de langue. Une langue sèche sur un palais sec qui résonna dans ce sous-sol silencieux. Calme, le vieux prit la parole: « Ce n’est pas la casserole avec des pieds qui m’a mené ici-bas. Elle ne soupçonne même pas ma présence dans sa cave. Je suis venu de moi-même et je n’arrive plus à prendre le chemin inverse. »

Un des mioches ouvrit la bouche pour prendre la parole mais autoritaire, le vieux lui mit son doigts sale et squelettique sur les lèvres: « Laisse-moi finir, enfant. Je devais me rendre à la Jamaïque pour des raisons que je ne peux pas encore vous expliquer ici. Regardez, voici mon billet. » dit-il en présentant un lambeaux de quelque chose qui aurait tout aussi bien pu être un vieux billet de course. « J’ai fourré quelques profiteroles dans mes poches, pris mon billet et j’ai enfourché ma chaise de déplacement magique qui me conduit où je veux et quand je le veux. (Ndlr : tous ces objets ont été créés avec l’aide de nos auditeurs sur Instagram. Merci à eux, n’en faites pas trop non plus.) Et puis bim! J’ai atterri dans cette geôle moisie!

Vous vous demandez pourquoi? Je le vois bien dans vos yeux. Et bien figurez-vous que cette satanée chaise de déplacement magique est devenue maléfique. Impossible de lui faire entendre raison. Elle veut rester ici! Mais… Peut-être que si trois enfants aux joues rouges tentaient de lui rendre la raison, elle nous sortirait d’ici. Allez-y! Parlez-lui! » Les enfants s’approchèrent avec précaution de la chaise en la tenant en garde avec un balai à chiotte trouvé dans un angle. Elle vibrait déjà de colère.

Alors que va-t-il se passer ? La chaise les bouffera-t-elle ou les laissera-t-elle faire sans broncher comme… une chaise ?

Jeudi: Disparition

La chaise maléfique tremblait de rage. Ses pieds de bois cliquetaient sur le sol comme les tamtams de chants guerriers. Si elle avait eu des naseaux, il est certain que de la fumée de fureur en serait sortie. Les trois enfants s’approchaient, lentement, la brosse à chiotte en l’air pour parer à une possible attaque. L’un d’eux parla: « Ô toi, sauvage chaise de déplacement maléfique. Nous voulons sortir d’ici, nous n’avons rien à faire dans cette geôle, nous devons mener notre vie tranquille de consommateur payeur dans notre village. Fais-nous sortir et nous te donnerons tout ce que tu souhaites. »

La chaise stoppa sa bougeotte infernale. Voici ce qu’elle demanda: « Le vieux reste ici mais je veux bien vous faire sortir tous les trois en échange d’un nouveau rembourrage. »

– Vendu ! Ma bonne mère est couturière, elle a, dans notre village, toute la ouate nécessaire pour réparer ton assise.

Le contrat validé, les mains et les pieds de chaises serrés, les trois enfants montèrent sur le siège et en un tourbillon de poussière de paille et de vieilles pierres, disparurent. Le vieux se retrouva seul, dans son coin, à ricaner comme s’il avait réussi son sale tour.

Vendredi: Dans la Boutique de maman chérie ou maman colère

Badaoum ! Paf ! Pif ! Pouet pouet ! Crac ! La chaise magique s’engouffra dans un vortex d’espace-temps sous des cris de douleur de mécanique cantique. Elle avait cruellement besoin d’être révisée. Trois grincements et cinq cliquetis suspects plus tard, le nuage de flou juridique qui entourait les trois enfants empilés sur leur vaisseau spatial bancal se dissipa. Quelle ne fut pas leur surprise d’avoir atterri pile dans l’officine de la maman couturière, entre les imprimés Balenciaga et la dernière collection printemps-été d’Yves Saint Lolo.

« Ah ! te voilà, sale minga ! Où étais-tu sépa ? »

C’était la voix tonitruante de maman couturière qui surgissait de l’arrière-boutique. La beauté de l’artisane n’avait d’égal que son langage en verlan tout tordu, et ses multiples personnalités qui lui causaient d’énormes pertes de mémoire (Ndlr : traits définis par les auditeurs sur Instagram). Ses enfants l’appelaient « Maman Chérie » ou « Maman Colère », en fonction des saisons de son esprit embrumé. Mais cette fois-ci, Maman Couturière semblait bien savoir où elle en était avec les corvées oubliées de son aîné:

– Je t’avais dit de ressépa les settechauds chesseux de l’archichessedu !

– Mais maman colère, je l’ai fait la semaine dernière. Je les lui ai même apportées en personne !

– Ah mon doux colibro… Où avais-je la teuté ? Solédée.

– Ce n’est rien maman chérie. Dis-moi, pour te faire pardonner, pourrais-tu s’il-te-plaît refaire le rembourrage de cette pauvre chaise ?

– Mais dis donc, petit tarba ! Tu crois que j’ai que ça à trefou ?

– Mais maman colère, avec tes doigts de fée, ça ne te prendra que quelques minutes.

– Tu as sonrai mon lapin en sucre de travebette. Je vais te faire ça fissa… Narco !

– Merci maman Couturière.

Ni une, ni deux, et encore moins trois, Maman Couturière rafistola le siège déchu. Seulement, au moment de remettre les derniers coups de fils dorés, elle s’arrêta net ! Comme si un détail invisible jusqu’ici l’avait pétrifiée.

Qu’est-ce qui la stupéfia pareillement ? Qu’adviendra-t-il de nos chérubins, de la chaise, du vieux dans sa cave et de la casserole à pieds ? Vous ne trouvez pas qu’il commence à faire tiède par ici ?

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