Dirty Wars, le nouvel art de la guerre

8 septembre 2021

« Dirty Wars » est une enquête de Jeremy Scahill. Journaliste d’investigation et correspondant de guerre, Scahill a notamment diffusé les informations révélées par Edward Snowden. Dans son essai « Dirty Wars, le nouvel art de la guerre », il nous explique comment les États-Unis ont intensifié leurs guerres secrètes et nourri le terrorisme.

Dans cette enquête dense et ultra bien documentée de plus de 700 pages, Jeremy Scahill explique l’essor des guerres secrètes menées par les États-Unis dans le monde, leur fonctionnement et ce qui a mené à cette dérive.
Comme de pouvoir assassiner n’importe qui, n’importe où, par exemple un citoyen américain dans un pays qui n’est pas en guerre, et donc pas régi par le droit de la guerre et les conventions internationales.
Ou comment tous les mardis de sa présidence, Barack Obama validait les «kill lists», listes de présumés terroristes à abattre, sur la base de renseignements non recoupés et vérifiés laconiquement sur le terrain. Pas de procès ni de jugement possible, «la Maison Blanche agit à la fois comme procureur, juge et jury», écrit Scahill. Dès qu’on est sur cette liste, on est mort.

«Il faut bien comprendre que les drones et la surveillance de masse marchent main dans la main. Une fois que vous êtes dans le radar, vous ne pouvez plus en sortir et on vous retire de force vos libertés fondamentales.»

L’enquête débute il y a quelques années avec le 11 septembre, en expliquant les rêves de guerres secrètes des ultra-conservateurs Dick Cheney et Donald Rumsfeld. Et comment ces attentats revendiqués par Al-Qaïda ont permis à l’administration Bush de concrétiser ces rêves.

Une semaine après le 11 septembre, Bush passe en mode ultra belliqueux en déclarant la guerre mondiale au terrorisme. Avec son vice-président (Cheney) et son secrétaire à la Défense (Rumsfeld), ils vont monter un arsenal juridique pour mener à bien leur guerre planétaire sans être inquiétés par la loi. Ils font sauter tous les garde-fous légaux (comme la validation des cibles à abattre par le Sénat) et s’octroient le maximum de pouvoir exécutif. Ils commandent leur propre organisme de forces spéciales, le JSOC, des ninjas surentraînés qu’ils chargent directement des opérations les plus sensibles (comme la traque et l’assassinat de Ben Laden).

Torture, assassinat, prisons secrètes, invasion de l’Irak. Ce que l’administration Bush a mis en place, Obama a promis de le défaire lors de son élection. Or, il a intensifié cette guerre en allant encore plus loin que les Républicains, dans un esprit totalement néo-conservateur. Les attaques de drones se sont intensifiées, tout comme le nombre de victimes civiles.

Par exemple, en Afghanistan, entre 2012 et 2013, sur 35 personnes ciblées, il y eut 165 victimes collatérales; au Yémen, des tirs de drones avaient lieu tous les 6 jours, la localisation des cibles se faisant au moyen de la carte SIM de leur téléphone, «des indicateurs de fréquence ou de mouvement suffisant à déclencher une frappe», selon Scahill. «Peut-être qu’il tuera sept commandants d’AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule arabique) qui se réunissaient pour planifier une attaque. Mais il peut tout aussi bien tuer un enfant de 7 ans, membre de leur famille, sur un marché, parce qu’il a eu le malheur d’être en possession du téléphone identifié par le renseignement.» Scahill cite cet exemple à dessein: c’est déjà arrivé.

«Au Yémen, les parents s’en servent pour effrayer les enfants, c’est l’équivalent du croque-mitaine: « Si tu n’es pas sage, un drone américain viendra te tuer! »»

Scahill va minutieusement avancer dans la chronologie historique, étayer fait après fait, en détaillant et décortiquant scrupuleusement tout ce qu’il nous explique. C’est écrit comme un thriller, mais l’un de ceux où il faut s’accrocher, car on va rencontrer des centaines de noms et plonger au plus profond des détails de la politique de défense américaine, avec des sources qui travaillent au sein des plus obscurs services secrets. Pour confronter les points de vue, il a enquêté au Moyen-Orient, a interviewé de nombreuses personnes mises en danger par les États-Unis. Il ne prend jamais parti et relate uniquement des faits. Il reconstitue aussi bien la dérive américaine qui fait de l’assassinat un élément central de sa politique de sécurité nationale que la montée du djihadisme.

Plus les États-Unis renforcent leur présence et leurs attaques, plus les populations locales se révoltent contre cet envahisseur qui tue des centaines de civils en Afghanistan, au Yémen, en Somalie, au Soudan, en Irak. Et c’est sans fin. À partir de ce moment-là, cette guerre planétaire n’a plus de limites.

Dirty Wars, la chronique :

Dirty Wars. Le nouvel art de la guerre, de Jeremy Scahill, Lux Éditeur.

Crédit image : Lux Éditeur.