Ennio Morricone, de Leone à Tarantino (et plus encore)

6 juillet 2020

Le compositeur est mort ce 6 juillet

Les musiques d’Il était une fois dans l’Ouest, Le Bon, la Brute et le Truand, Le Clan des Siciliens ou plus récemment Les Huit Salopards survivront au décès d’Ennio Morricone, survenu ce 6 juillet 2020. Il avait 91 ans et une liste de plus de 500 musiques de films à son CV. En dépit de l’appel d’Hollywood, Morricone n’avait jamais quitté son Italie natale et tout cinéaste qui souhaitait collaborer avec lui devait, d’office, accepter que la musique soit composée et enregistrée à Rome. Retour sur l’histoire de ce compositeur magistral au caractère de diva.

Des espérances classiques à la réalité populaire

Né à Rome en 1928, Ennio Morricone a 18 ans lorsqu’il obtient son diplôme de l’Académie romaine de Sainte-Cécile : il est trompettiste, comme son père avant lui. Il complète sa formation en devenant compositeur, puis chef d’orchestre. L’artiste écrit sa première œuvre classique en 1957, mais les bénéfices sont très faibles. Il se tourne alors vers la musique pop en composant des chansons, des arrangements pour la télévision et ses premières musiques de films. À contrecœur. Souffrant du « syndrome Nina Simone », qui avait le même problème avec la pop, Morricone méprise le genre, adressé selon lui à un public de culture moyenne. Sa première bande originale est celle de Mission ultra-secrète, comédie italienne de Luciano Salce, réalisée en 1961. Peu à peu, il se fait connaître pour la qualité de ses travaux. Les cinéastes italiens sont toujours plus nombreux à faire appel à lui, l’acharné, pour qui l’inspiration ne représente qu’un pourcent d’une œuvre. Le reste n’est que sueur.

Révolution spaghetti

Lorsque Leone, réalisateur abonné aux péplums, demande à Morricone de lui écrire une musique de western, il accepte sans enthousiasme. Il devient pourtant le compositeur attitré de Leone, son ami d’école, et révolutionne tout ce qui a été fait jusque-là en matière de musique de films. Il se démarque des orchestres hollywoodiens en utilisant des chœurs masculins, des sons percussifs et des timbres rares, en s’inspirant de cris humains pour créer la plainte du coyote dans Le Bon, La Brute et le Truand. Et si Leone utilise souvent des plans serrés dans ses films, Morricone crée pour eux le son des grands espaces de l’Ouest. Il écrit d’ailleurs la musique avant les tournages, et Leone dirige les acteurs en fonction d’elle.

« Il n’est pas mon compositeur, il est mon scénariste. »

Sergio Leone

Leur succès populaire n’a d’égal que la critique snob, qui baptise ce nouveau genre « western spaghetti ». Sortie en 1984, Il était une fois en Amérique est la dernière collaboration du duo. Leone ne tourne plus et meurt cinq ans plus tard. Morricone, qui rêve depuis toujours de musique absolue et de concerts, ne voudra plus entendre parler de ces années-là.

 Chi Mai

En 1965, Morricone intègre le groupe d’improvisation et de composition avant-gardiste La Nuova Consonanza, à Rome. Il se familiarise avec les techniques électroacoustiques et l’utilisation de bandes, ce qui lui permet d’enrichir son panel de techniques, toujours au service du 7e art. Morricone compose pour Pasolini, Bertolucci, Verneuil. On le retrouve aussi chez Lautner et son fameux Professionnel. Le thème du film, Chi Mai, occupe la première place du hit-parade français durant trois semaines consécutives à la fin 1981. Il obtient même un disque d’or. À l’origine, Ennio Morricone avait composé ce titre pour le film Maddalena. Au Royaume-Uni, Chi Mai est au générique de la série de la BBC The Life and Times of David Lloyd George. On le retrouve encore en 1986, dans la publicité pour Royal Canin.

Morricone et Tarantino

Quand on sait la place prépondérante que Tarantino dévoue à ses musiques de films, il était impossible d’imaginer qu’il ne croise pas un jour le chemin de Morricone. Dans une optique de recyclage, il n’hésite pas à puiser dans le répertoire spaghetti pour les bandes originales de Kill Bill, Boulevard de la Mort, Inglourious Basterds et Django Unchained. À force d’hommages, Tarantino a droit à une partition grandiose et inédite pour Les Huit Salopards. C’est suite à ce film que, pour la première fois de sa carrière, Ennio Morricone remporte un Oscar pour une bande originale particulière. Il a 87 ans. Immense revirement de situation pour le compositeur, qui fustigeait publiquement Tarantino pour l’utilisation maladroite de ses musiques de films.

Un Maestro et une diva

Appeler Ennio Morricone « Maestro ». Éviter d’utiliser l’expression « westerns spaghetti », péjorative. Ne pas s’étaler sur son travail avec Sergio Leone. Ne pas lui demander de jouer du piano présent dans son salon car il ne s’en sert que pour composer. Lui poser des questions intelligentes sur ses dernières réalisations, qui doivent être appelées « film musics » et non « soundtracks ». Ne pas parler à Morricone de sa vie privée. La liste des impératifs envoyée par le label du compositeur, Decca, à tout journaliste qui voulait s’aventurer à l’interviewer ces dernières années est aussi longue que la filmographie de Morricone. Lors d’une interview en 2016, un journaliste de Libé fait les frais de son caractère de diva, en lui demandant si Rome est une ville importante à ses yeux. «Mais… c’est une question de touriste ! Vous représentez un journal sérieux. Vous n’êtes pas venu ici pour m’entendre parler de Rome ! Vaffanculo ! ». On répond « Addio a Maestro. »