Alan Braxe compose avec le son des océans

9 mars 2021

The Outlaw Ocean est un projet qui fait cohabiter musique et journalisme. Ian Urbina, journaliste du New York Times, a écrit un livre traitant des problèmes de criminalité et d’environnement à travers les océans. Dans son enquête, il a enregistré une multitude de sons qu’il a ensuite mis à disposition de 250 musiciens. Sons d’ambiance, interviews et reportages audio ont ainsi été intégrés à la musique afin d’offrir une approche sensitive unique.

Le musicien Alan Braxe a participé à ce projet avec son EP Silence at Sea et a bien voulu répondre à nos questions.

Interview

GRRIF: Pouvez-vous nous expliquer l’idée de votre nouvel EP Silence at Sea?
Alan Braxe: C’est un projet collaboratif initié par le journaliste Ian Urbina basé sur son livre «The outlaw ocean» qui traite de l’illégalité et de la criminalité sur les océans, des sujets tels que les quotas de pêche, le trafic d’armes ou d’êtres humains, le rejet de matières dangereuses et bien d’autres. Au cours de ses reportages Ian a réalisé de nombreux enregistrements audio et l’idée de base était de combiner ces enregistrements à de la musique originale. Une sorte de mélange entre journalisme et musique. C’est une idée originale qui m’a immédiatement séduit car c’est un bon moyen de quitter sa routine de création musicale.

Comment avez-vous découvert le livre de Ian Urbina?
Ian Urbina m’a envoyé une copie du livre en complément des fichiers audio. Cependant, je me suis surtout inspiré de ces derniers, qui après écoute permettent de réagir sans trop de réflexion, de manière quasi instinctive et d’imaginer un cadre musical qui peut illustrer les sujets abordés dans le livre.

Comment avez-vous procédé?
J’ai reçu environ une centaine de fichiers audio et j’ai débuté en les organisant par thèmes: nature, ville, discussion etc. Dans un deuxième temps je suis allé chercher dans mes brouillons des idées parfois assez avancées ou bien à l’inverse juste un enregistrement de modulaire de type séquence ou bien juste un drone. Je n’ai pas cherché à donner un sens précis à chaque morceau, mais à créer une émotion. Très souvent lorsque je travaille sur des morceaux instrumentaux se pose un problème de répétition et de lassitude, mais dans ce cas précis l’ajout d’un dialogue, ou bien un son de pluie, de vagues, permettent de faire passer la musique au deuxième plan comme le ferait un lead vocal; en conséquence il est plus facile de construire le morceau dans la longueur.

D’ailleurs chaque morceau offre une émotion particulière, avec des différences de rythme…
La différence de rythme provient de la diversité des fichiers fournis par Ian Urbani, et le spectre était assez large, cela pouvait aller du son des vagues sur une plage à des enregistrements de combats à l’arme automatique puis, au milieu, toute sorte d’ambiances différentes. J’ai cherché à garder cette diversité autour de quatre thèmes, les humains comme source de violence , la nature,  la tradition et la culture.

Est-ce que votre EP a une vocation politique?
Pour ma part il n’y a pas de vocation politique dans ce disque, cela reste du divertissement. Mais alors qu’une grande partie de la musique club ou bien électronique gravite autour de valeurs hédonistes, il semblait intéressant de quitter la recherche perpétuelle du plaisir immédiat pour rentrer dans des thématiques plus sombres et concrètes.

La problématique des océans pollués est quelque chose qui vous interpelle depuis longtemps?
Depuis longtemps ce serait mentir, j’en prends conscience au fur et à mesure que le sujet prend plus de place dans les débats publics avec souvent l’impression que l’on pourrait faire bien plus à nos échelles individuelles même si cela implique des changements dans nos modes de vie.

A titre d’exemple je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi la grande majorité des produits de consommation alimentaire sont toujours emballés dans du plastique. On peut imaginer qu’en 2021 il doit bien y avoir des solutions alternatives permettant de limiter l’usage de ce matériau au strict nécessaire mais ça ne bouge pas bien vite sur ce simple sujet. Plus globalement, nous sommes maintenant tous sensibilisés à ces thématiques mais sommes-nous vraiment prêts à changer nos modes de vie et de consommation? On peut espérer que les générations futures seront plus déterminées à entrer dans une forme de transition.

Crédit photo: Alan Braxe