Non, le Blu-ray n’est pas mort. Rencontre avec Frenezy, nouvel éditeur vidéo indépendant.

23 mai 2022

Il n’a jamais été aussi facile de regarder un film en 2022. Les plateformes de streaming sont nombreuses et l’offre surabondante. Pourtant, certains utilisateurs ne jurent encore que par le support physique. Que ce soit pour la qualité de l’image, les bonus, ou même pour la beauté de l’objet, les arguments sont nombreux. Récemment, c’est le classique de Francis Ford Coppola, Le Parrain, qui a été entièrement restauré et qui bénéficie maintenant d’une très belle édition 4K. L’occasion pour toute une nouvelle génération cinéphile de découvrir ce film culte dans des conditions optimales. 

La France, eldorado des éditeurs indépendants

En France de nombreux éditeurs indépendants s’acharnent à « sauver » des films. Leur quotidien ? Négocier les droits, retrouver le négatif, restaurer le film et presser l’œuvre en Blu-ray, en DVD, parfois même en UHD (Ultra High Definition). Dans cette très grande famille d’éditeurs vient d’apparaître le label Frenezy. Rencontre avec Stéphane Lacombe, responsable éditorial de la maison, qui vient de sortir l’excellent La Victime désignée, de Maurizio Lucidi.

Interview

GRRIF : Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter votre propre label ?

Stéphane Lacombe : À l’issue de plusieurs discussions en janvier 2020 avec le laboratoire TCS qui a l’habitude de travailler avec des éditeurs indépendants, nous avons acté notre volonté de lancer un label à partir d’une ligne éditoriale que j’ai pu proposer. À titre personnel et en tant que responsable éditorial de Frenezy, je m’intéresse à diverses cinématographies, ayant beaucoup écrit sur le cinéma de Hong Kong et sur le cinéma américain, et un peu sur le cinéma italien dans les années 1990. En tant qu’acheteur, je restais frustré du peu de rééditions de films italiens en HD (depuis, les choses se sont accélérées chez les éditeurs indépendants) et je voulais proposer un travail éditorial à la hauteur de ces films, dont la majorité n’ont été défendus que par quelques initiés…

Dont toute une partie du cinéma italien, qui a longtemps été mal considéré…

Oui, on en parlait à l’époque comme du cinéma bis ou de la mauvaise série B, voire Z. Mais aujourd’hui, le cinéma de genre italien est « tendance », y compris le cinéma policier urbain, dit « poliziottesco », autrefois taxé de réactionnaire ou de fasciste.

« Un Blu-ray doit être comme un livre »

Quels films allez-vous éditer ?

Avant de débuter les acquisitions de films, j’ai balayé environ 25 ans de production italienne, du début des années 1960 au début des années 1980, pour retenir environ 400 titres selon ma cinéphilie personelle. Puis j’ai resserré ma liste car certains films étaient bloqués pour des problèmes de droits, pour des raisons de matériel, et parce qu’ils étaient édités entre-temps par d’autres labels. J’ai sélectionné des titres que je considère comme « marquants » sur différentes thématiques : le giallo, le western, l’horreur et le genre « mafia ». Nous venons d’éditer La Victime désignée de Maurizio Lucidi et Texas Adios de Ferdinando Baldi avec Franco Nero. Nous travaillons sur plusieurs titres, mais les deux prochains seront Femina Ridens et Dans les replis de la chair. Prochainement nous allons rééditer en Blu-ray La Guerre des gangs de Lucio Fulci et Qui l’a vue mourir ? d’Aldo Lado. Etant passionné par l’histoire contemporaine de l’Italie, j’ai également d’autres envies du côté d’un cinéma plus subversif mais cela représente un risque commercial…

Est-ce que votre label se charge lui-même des restaurations ?

Oui, sauf exception ! J’ai la chance de travailler avec un laboratoire, la société TCS qui existe depuis 1976. Nous restaurons nous-mêmes la majorité de nos titres. Par exemple, pour Texas Adios, nous sommes repartis du scan brut du négatif, livré bobine par bobine. Nous avons tout refait, y compris l’étalonnage et le cadrage. Idem pour Femina Ridens que nous avons entièrement restauré et reconstitué. Il sera visible dans sa version intégrale pour la première fois en France et accompagné d’un peu plus de deux heures de bonus. Il y aura également un vrai challenge avec La Guerre des gangs dont le master provient d’un négatif très abîmé.

Pourquoi avoir choisi le support physique et non les plateformes de streaming pour faire revivre tous ces films ?

Notre philosophie consiste à défendre coûte que coûte, ou devrais-je dire frénétiquement (!), le support physique. Il demeure pour nous le meilleur moyen de visionner, partager et conserver une œuvre cinématographique. Nous prenons la peine de créer un chapitrage pour le film (ce que les éditeurs font de moins en moins) et pour certains bonus (ce que pratiquement aucun éditeur ne fait, hormis Criterion). Un Blu-ray doit être comme un livre : on a envie de s’y replonger en totalité ou partiellement, parfois on a juste envie de le parcourir rapidement… Tous nos bonus seront encodés en HD, quelle que soit la source de départ. Et nous accordons un soin particulier au sous-titrage dont la qualité est de plus en plus malmenée, y compris sur les plateformes. Nous nous efforcerons, quand c’est possible, de proposer plusieurs versions d’un même film au niveau du montage, tout en privilégiant la version intégrale.

« Il reste un nombre invraisemblable de films toujours inédits en HD »

Il existe de nombreux éditeurs indépendants. Est-ce que cette concurrence ne vous effraie pas ?

A terme, les éditeurs indépendants n’auront pas d’autres choix que de travailler ensemble. C’est d’ailleurs notre démarche. Nous ne nous vivons pas comme des concurrents mais il est vrai que nous avons observé une évolution depuis environ deux ans sur le marché de l’édition en France. Lorsque nous avons lancé notre label, nous avons constaté que, hormis deux ou trois éditeurs indépendants, le cinéma italien était peu représenté dans sa diversité en haute définition. Nous avons constaté l’émergence d’un nouvel engouement pour certains segments du cinéma de genre italien qui intéressent de nouveaux cinéphiles.

Mais il ne faut pas se leurrer… Le péplum intéresse peu de monde, le polar italien des années 1970 a longtemps été ignoré, voire méprisé, avant de devenir un objet d’intérêt, le cinéma érotique est pratiquement inexistant sur le marché… Enfin, les très bons scores de certains films plus connus du grand public ne doivent pas cacher le fait que d’autres films italiens de qualité suscitent peu de curiosité ou, disons, d’attrait fétichiste.

Tous les pays ne semblent pas non plus accorder la même importance à leur patrimoine…

Il est clair que les Italiens ont pris du retard dans la restauration de leur patrimoine, ce qui limite les possibilités d’accès. Il reste un nombre invraisemblable de films toujours inédits en HD, voire en DVD ! Pour autant, en France, mais aussi en Angleterre, aux Etats-Unis et en Allemagne, il y a une accélération du rythme de sorties de films de genre parfois très pointus. De manière générale, et c’est valable pour le cinéma américain également, les catalogues se trouvent sous tension, et sur certains films américains, il y a bien eu ce qu’on appelle une guerre des prix, ce qui n’est bon pour personne, dans un marché de niche qui ne cesse de se resserrer…

Y a-t-il des films qui ne seront jamais réédités ?

Hélas, certains films américains du début des années 1980 qui sont demandés par les fans ne sortiront probablement jamais dans des éditions françaises, car leur vendeur en exige un prix trop élevé par rapport à la réalité du marché dit de niche. C’est la même chose pour de nombreux films italiens détenus par des personnes qui veulent juste faire un coup financier…

Écouter la chronique Cinéculte sur le film La Victime désignée, paru aux éditions Frenezy.

Crédit images : Frenezy